QUEBEC la blanche

Pourtant située à la même latitude que La Rochelle, la ville de Québec connaît des froidures sibériennes, et bat des records d’enneigement. Loin d’hiberner, les québécois célèbrent l’hiver lors d’un grand carnaval, qu’il faut venir découvrir en famille, bien emmitouflés ! Visite guidée par Gérard Boulanger, un artiste peintre local.  

Gérard Boulanger, artiste peintre

            Les plaques de glace craquent sous l’étrave du traversier, ouvrant un passage dans le Saint-Laurent gelé, qui se referme aussitôt. Il fait très froid, l’air brûle les pommettes, gèle les doigts dans les gants, et les oreilles sous la toque en fourrure. Mais Gérard reste sur le pont pour ne rien rater du paysage. Il est vrai que cette vue de Québec, dominée par la silhouette du château Frontenac, est l’un des plus beaux tableaux qu’on puisse admirer de la capitale de la Belle Province. D’ailleurs Gérard Boulanger, québécois pure souche et artiste peintre, l’a déjà peint maintes fois. « Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’hiver… » fredonne-t-il. « Gilles Vigneault avait bien raison, c’est l’hiver que Québec city a le plus de caractère. » De quatre à cinq mois par an, au gré des tempêtes de neige et des vagues de froid, la ville revêt sa livrée blanche et duveteuse, et le fleuve se fige ou charrie des plaques de glace. Mais cette fatalité n’enlève rien au charme du Vieux-Québec, seule cité fortifiée d’Amérique du Nord, inscrite par l’UNESCO sur la liste du Patrimoine mondial. « Au contraire ! » assure Gérard, qui adore peindre dans les petites rues de la vieille ville après une belle bordée de neige : « La neige adoucit tous les angles, redessine la ville, métamorphosant le mobilier urbain en œuvre d’art. Une borne à incendie devient bonhomme de neige, un abri-bus est un igloo, un feu tricolore un sapin de Noël illuminé… Selon la lumière et les heures du jour, la neige prend toutes les nuances de blanc et de gris, blanc bleuté, blanc de jade, blanc de nacre, blanc de titane… De plus, la nuit, la neige réfléchit toutes les lumières de la ville, et permet de faire des tableaux très colorés. Avec la chape gris-orangée d’un ciel nuageux, ou le bleu-nuit intense et vibrant d’un ciel étoilé, et pourquoi pas le halo diapré d’une aurore boréale, vous avez des paysages extraordinaires en pleine ville ! » s’enthousiasme le peintre impressionniste.

Traversier reliant Québec à Lévis
Traversier reliant Québec à Lévis en traversant le St-Laurent
Bassin Louise

Le traversier laisse échapper les habitants de Lévis, quartier de la rive opposée, dans le quartier du Petit-Champlain. La ville de Québec est édifiée sur deux niveaux, au-dessous et au-dessus du cap Diamant, une falaise s’avançant dans le Saint-Laurent. Au pied du cap s’étend le Vieux-Port, et un quartier commerçant animé autour de maisons centenaires. C’est là que Samuel de Champlain a établi, en 1608, un poste de traite de fourrures en un lieu dénommé Kebec, c’est-à-dire là où le fleuve se rétrécit, en langue algonquine. Son habitation se trouvait à l’emplacement de la Place Royale, appelée ainsi en hommage à Louis XIV, et dont les petites dimensions, ainsi que les maisons qui l’entourent, restituent un peu l’atmosphère de la Nouvelle France aux XVIIe et XVIIIe s. Il faut entrer se réchauffer un peu dans l’église Notre-Dame-des-Victoires (la première église du Québec), un peu sombre et remplie d’ex-votos. Puis essayer de reconnaître sur une gigantesque fresque murale en trompe-l’œil, à un angle de la place, des québécois célèbres : de Champlain, Jacques Cartier, Félix Leclerc… Gérard a quelques-unes de ses adresses favorites de restaurant dans ce quartier (les pâtisseries du Cochon Dingue, « ça goûte le ciel » !), et il adore fureter dans la rue Petit-Champlain, très commerçante, qui garde ses décorations de Noël longtemps après les fêtes. C’est l’une des plus anciennes artères de toute l’Amérique de Nord, ouverte en 1685. L’une de ses maisons abrite la gare inférieure du funiculaire reliant la basse à la haute ville, qu’il est préférable d’utiliser plutôt que le pittoresque escalier Casse-Cou, méritant bien son nom par temps de verglas… 60 m plus haut, on arrive au pied du château Frontenac. Cet hôtel a été érigé en 1892 par la compagnie ferroviaire Canadien Pacifique dans un style normand médiéval, baptisé style Château, d’où son nom. De la terrasse Dufferin, où petits et grands s’amusent à glisser sur un grand toboggan, Gérard ne se lasse pas d’admirer le paysage : « Le regard glisse sur le  Saint-Laurent jusqu’à la côte de Beaupré et l’île d’Orléans, c’est magnifique… Cézanne a dit que tout s’inscrit dans une forme géométrique ; or, d’où que l’on se place, dans la vieille ville, le château Frontenac forme une composition pyramidale très agréable à l’œil ! »

Le château Frontenac vu depuis le quartier du Petit-Champlain
Le château Frontenac
Terrasse Dufferin, devant le château Frontenac
Rue du Petit-Champlain
Rue du Petit-Champlain
Place Royale
Trompe-l’œil vers la place Royale
Magasin spécialisé dans la décoration de Noël, rue de Buade
Rue Sous-le-Fort

Depuis les années 50, Québec city organise son carnaval, et c’est devenu le plus ancien et le plus important carnaval d’hiver au monde. En plein mois de février (du 3 au 12 en 2023), trois fins de semaine sont dédiées à la fête sous toutes ses formes pour célébrer l’hiver. Parmi les manifestations les plus populaires, le défilé nocturne tient la première place, bien qu’il faille patienter une coup’ d’heures sans bouger ou presque, parfois par –20°C. Heureusement, certains amènent leur réchauffant (du caribou ou du slow gin, une boisson traditionnelle à base de vin rouge, d’eau de vie et d’épices)… Le must de tout carnavalier, surtout s’il est accompagné d’enfants, est de visiter le Palais Bonhomme (Bonhomme étant l’effigie du carnaval), un extraordinaire « château » composé de 50 000 tonnes de neige et de glace. Parmi les autres activités ludiques à faire en famille, citons la glisse sur des prittes (chambres à air), le tir à la hache sur cible, et pour les moins frileux, le bain de neige dans la poudreuse en maillot de bain ! La virée des sculptures de neige ou de glace est aussi très prisée, ainsi que la fameuse course de canot à glace. Gérard explique : « Cinq robustes gaillards ou gaillardes doivent pousser un canot sur le Saint-Laurent, pour relier le bassin Louise du Vieux-Port jusqu’à la rive d’en face, aller-retour. Une terrible épreuve de force et d’endurance, qui tire son origine de la dure réalité hivernale. En effet, le canot à glace fut pendant longtemps essentiel pour les insulaires et les riverains du Saint-Laurent, car c’était le seul moyen de transport et de communication entre les deux rives, quand le fleuve était gelé ! » Aujourd’hui, la course attire la foule et les médias, et les canots, autrefois en bois, sont en fibre de verre et de carbone, et sont tous sponsorisés… Mais cela reste très spectaculaire, et cela console de ne plus pouvoir assister aux fameuses courses de tacots, supprimées depuis quelques années. C’était méga-fun : on faisait dévaler dans une forte pente des engins bricolés aux formes les plus improbables (baignoire, dragster, grille-pain…), qui n’arrivaient pas tous entiers… Ca reviendra peut-être, car au moins, ces véhicules ne consommaient pas d’essence !

Bonhomme Carnaval
Défilé de nuit
Défilé de nuit
Défilé de nuit
Baby-foot géant dans les plaines d’Abraham
Palais de Bonhomme
Glissades dans les plaines d’Abraham
Bain de neige dans les Plaines d’Abraham
Course en canot sur glace 2006
Course en canot sur glace 2006
Départ de la course en canot à glace en 2006
Course en canot à glace sur le Saint-Laurent en 2006
Course en canot à glace sur le Saint-Laurent en 2006
Course en canot à glace sur le Saint-Laurent en 2006
Course en canot à glace sur le Saint-Laurent en 2006
Course en canot à glace sur le Saint-Laurent en 2006
Course de tacots en 2006

La haute-ville, ceinte de remparts, abrite les pièces maîtresses du patrimoine religieux et historique du Québec. Les musées et les églises font des haltes agréables lorsqu’on se promène dans les ruelles venteuses, par une de ces journées glaciales où le soleil semble congelé. Ce qui frappe, c’est la façon qu’ont les québécois d’apprivoiser l’hiver. Bien équipés (bottes étanches, mitaines, toque, blouson fourré), ils affrontent les pires tempêtes de neige comme les Bretons un fin grésil. Le matin, ils ont toujours une pelle ou une raclette à la main, pour déneiger leur pas de porte ou le pare-brise de leur char. Et plutôt que de subir la glace, ils la sculptent ! Ainsi, les rues de la ville sont parsemées de sculptures de glace, rivalisant d’originalité. Bien entendu, la glace est mise à profit pour le fun : les amoureux tracent des cœurs sur la patinoire de la place d’Youville, sous les remparts de la porte St-Jean, tandis que des gamins jouent au hockey sur celle du parc de la Poudrière de l’Esplanade, derrière la porte St-Louis. Il y a même des couples qui vont passer une nuit dans l’hôtel de glace de Valcartier, à une vingtaine de km au nord de Québec. « Faut quand même aimer le froid, ou alors avoir ben chaud aux fesses », plaisante Gérard. Curieusement, on ne voit pas beaucoup de skieurs dans l’immense parc des Plaines d’Abraham qui jouxte la Citadelle. « C’est normal, quand on veut prendre l’air, il suffit de faire quelques kilomètres hors de la ville, et l’on se trouve dans les grands espaces. La neige transforme la nature en un formidable terrain de jeux. Ski de fond, raquettes, luge, traîneau à chiens, pêche sur la glace, patinage, motoneige, on peut même faire du ski alpin à la station Stoneham, qui n’est qu’à une heure de route du centre-ville ! » assure Gérard.

Rue du Sault-au-Matelot
Rue du Fort
Notre-Dame-de-Québec
Sculpture sur glace vers la place Royale
Concours international de sculptures sur neige, dans les Plaines d’Abraham
Patinoire place d’Youville
Hôtel de Glace à Ste-Catherine-de-la-Jacques-Cartier
Hôtel de Glace à Ste-Catherine-de-la-Jacques-Cartier
Hôtel de Glace à Ste-Catherine-de-la-Jacques-Cartier
Hôtel de Glace à Ste-Catherine-de-la-Jacques-Cartier
Bar de glace à l’hôtel de Glace de Ste-Catherine-de-la-Jacques-Cartier

Entre deux animations du carnaval, Gérard m’a emmené voir les chutes Montmorency, à l’extérieur de la ville. Cette immense cascade gelée forme une paroi idéale pour l’escalade sur glace ! En prolongeant la route de la Nouvelle France qui longe le Saint-Laurent rive nord, après une heure de route, nous découvrons une île toute blanche au milieu du Saint-Laurent, comme un iceberg pris dans la banquise. « Voici l’Île-aux-Coudres. L’hiver, c’est un univers très poétique, qui m’inspire énormément. J’adore ces grands champs de neige sur les tourbières, la route circulaire battue par les vents, où tourbillonnent toujours quelques flocons, et où s’amoncellent d’étranges congères. De la poudrière dépasse parfois un mât de goélette, ou l’aile cassée d’un vieux moulin… Les hommes sont de vieux loups de mer et ont tous d’incroyables histoires à raconter. Et si l’un d’eux prend son violon, il y a une sacrée ambiance dans les bars ! C’est cela, pour moi, la magie du Québec, l’hiver. Savoir transformer la tristesse en gaieté, le froid en chaleur, l’austérité en beauté… » On retrouve ce genre d’ambiance conviviale et de joie contagieuse dans les cabanes à sucre des érablières situées en périphérie de Québec city. En mars et avril, dès les premiers signes de dégel, les québécois qui ont « le bec sucré » adorent se délecter de tire d’érable : du sirop d’érable bouilli et versé en traits sur la neige, qu’on laisse refroidir et qu’on enroule autour d’un bâtonnet pour concocter une friandise bien sucrée. Quand la nuit tombe, les familles se rassemblent autour de longues tables en bois pour partager un copieux repas dégoulinant de sirop d’érable… Et pour perdre un peu de calories, on tape du pied, on claque dans les mains pour accompagner les musiciens jouant des rigodons et des airs de danse carrée, aux sons du violon, de l’accordéon, de l’harmonica et des cuillères de bois agitées comme des castagnettes ! 

Chutes Montmorency
Ile aux Coudres
Ile aux Coudres
Ile aux Coudres
Ile aux Coudres
Ile aux Coudres
La tire de sirop d’érable
Dans l’érablière Le Chemin du Roy

Note : ce reportage a été fait en 2006, mais il a été actualisé en 2022.

PRATIQUE

Y aller

Air Transat propose des vols directs Paris/Québec (7h30 de vol), à partir de 800 € A/R. www.airtransat.com 

Se loger

Si vous venez à Québec city pendant la période du Carnaval, il faut réserver son hôtel le plus tôt possible.

– Auberge Saint-Antoine : boutique-hôtel de charme aux chambres meublées et décorées avec une créativité et un soin remarquable. www.saint-antoine.com

– Le Dominion 1912 : hôtel de style new-yorkais, dont les chambres lumineuses ont un design contemporain très réussi. www.hoteldominion.com

– Le Louisbourg, rue Saint-Louis : dans une maison du XIXe s., petites chambres à prix raisonnable. www.sagamite.com/hotels/

Se restaurer

– Le Lapin Sauté, 52 rue Petit-Champlain : le lapin à son meilleur, mais aussi une carte gourmande qui en fait une table très prisée des québécois. En fin de semaine, fabuleux brunch qu’il faut réserver plusieurs jours à l’avance !

– Le Clocher Penché, 203 Saint-Joseph Est : bistrot qui propose une cuisine inventive avec de bons produits locaux.

– La Sagamité, 68 1/2 rue St-Louis : cuisine autochtone Wendat. Compter 80 € le menu « Yatista » avec soupe, viandes de gibier grillées au feu et tarte à l’érable.

Se rincer l’œil

Gérard Boulanger expose à la galerie Signature, située 256 rue des Hautes Herbes, à St-Nicolas, une municipalité située sur la rive opposée du Saint-Laurent.
www.gerardboulanger.com

Se renseigner

www.carnaval.qc.ca  et www.bonjourquebec.com/fr

« Rue St-Paul », tableau de Gérard Boulanger

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