Les secrets du comté

Consommé tout au long du repas, ce fromage franc-comtois a une palette aromatique qui ravit le palais des petits et des grands gourmands. Voici les secrets de sa fabrication, recueillis dans une fruitière et une cave d’affinage du Doubs.

Montbéliardes sur zone AOC Comté
Montbéliardes sur zone AOC Comté

Laissez-moi vous conter…

… l’origine du comté. C’est la rudesse des longs hivers qui commanda autrefois aux paysans du massif jurassien de transformer leur lait en un fromage « de garde », appelé alors « vachelin ». Seuls des fromages de grande taille et à pâte pressée cuite permettaient une conservation susceptible de répondre aux besoins d’une famille entière pendant toute la saison froide. Ces grandes meules nécessitant beaucoup de lait (400 litres en moyenne), les fermiers s’unissaient et apportaient leur lait à la « fructerie », appelée aujourd’hui fruitière. Les premiers documents écrits mentionnant la fruitière et le mode de fonctionnement de cette société coopérative avant la lettre, remontent au Moyen-Âge ! Pendant 8 siècles, cette forme originale d’organisation villageoise a perduré, ainsi que les gestes ancestraux de confection de ce fromage au lait cru à pâte pressée cuite, qui fut le 1er fromage AOP français en 1958. 

Livraison du lait à la fruitière de la Brune, à Lièvremont

Une méthode de fabrication inchangée depuis des siècles

Pour voir comment on produit du comté, je suis allé à la fruitière de la Brune, à Lièvremont (Doubs), et c’est le fromager Sylvain Javaux qui m’a montré tout le processus de fabrication. « Du pis de la vache au moule, tout doit se faire en 24 heures car on ne travaille que du lait cru, sans conservateur ni colorants » précise-t-il en préambule. Chaque matin, le lait est écrémé partiellement et chauffé 30 minutes à environ 30°C dans de grandes cuves en cuivre, c’est la maturation. Le fromager ajoute ensuite la présure élaborée à partir de caillette de veau et de petit lait de la veille pour faire cailler le lait. « Notez que les fromagers peuvent personnaliser leur ferment. C’est un peu secret, mais cela donne une typicité au comté qu’un bon affineur sait reconnaître. » Après avoir tranché mécaniquement le caillé, de petits morceaux de caillé de la taille d’un grain de riz vont se séparer du petit lait. Ce caillé est alors chauffé progressivement jusqu’à environ 55°C pour « ressuyer » les grains, c’est à dire en extraire la partie liquide. « Lorsque les grains ont atteint la bonne taille et la bonne consistance, que l’on juge à la main, le contenu de la cuve est transvasé dans des moules perforés qui laissent s’écouler le petit lait. Ces moules ont la taille de la future meule. On laisse s’égoutter et on presse, sans oublier de placer sur le talon de chaque fromage une plaque verte de caséine qui indique le mois et le lieu de fabrication, pour la traçabilité ! » Enfin, le soir même ou le lendemain matin, les fromages « en blanc » sont emmenés en cave où commence le pré-affinage. « Cette étape est importante, car elle permet d’assurer la cohésion des grains de caillé. Pendant 3 semaines, les jeunes fromages sont salés, frottés et retournés quotidiennement, avant de partir pour un long séjour dans l’une des caves d’affinage du Massif » conclut Sylvain.

Sylvain Javaux teste le caillé du lait à la main
égouttage du caillé
Lavage et salage des meules fraîches

Un fort sur lequel on peut compter

Puis je me suis rendu dans le fort Saint-Antoine, vers Métabief, une forteresse enterrée qui fut construite pour défendre la frontière franco-suisse, à la suite de la défaite de l’armée française en 1870. Reconvertie en cave d’affinage il y a 50 ans par Marcel Petite, elle abrite aujourd’hui dans ses galeries environ 100 000 meules qui s’affinent lentement dans la fraîcheur et l’humidité constante apportée par la roche. Dans de grandes salles occupées par des étagères du sol au plafond, les meules reposent sur des planches de bois d’épicéa, dans une ambiance de cathédrale. Claude Querry, le responsable qui m’a reçu, explique son rôle : « Affiner, c’est savoir amener un fromage à maturité. Les meules sont régulièrement salées, frottées avec une solution de saumure appelée morge et retournés. Grâce à ces soins, la croûte se forme, et la texture de la pâte initialement granuleuse et élastique devient fine et souple. Puis, individuellement, on les ausculte à l’aide d’un petit marteau, on les goûte et on les déplace dans les caves plus ou moins fraîches en fonction de leur évolution. Mais attention, on ne peut pas faire de miracle non plus : on aide le fromage, mais chacun a un potentiel unique dès le départ ! Certains sont destinés à pouvoir mûrir quatre ans, d’autres atteignent leur limite avant un an, cela dépend du travail du fromager et de ce que les vaches ont brouté… » Ce qui est sûr, c’est que le comté s’affinera au minimum 4 mois pour avoir droit à l’AOP. A la fin du processus d’affinage, chaque meule de comté aura une texture, une couleur et une palette aromatique unique. L’affineur note chaque meule en s’appuyant sur différents critères parmi lesquels le goût est le plus important. En fonction de son appréciation, au sortir de la cave chaque fromage est entouré d’une bande de marquage verte ou brune qui traduit sa qualité : les fromages notés de 14 à 20/20 reçoivent une bande verte « comté clochette » et ceux notés de 12 à 14, une bande brune « comté ». Les fromages dont la note est inférieure à 12 n’ont pas droit à l’appellation.

Claude Querry teste l’affinage d’une meule en examinant et goûtant une fine « carotte » de comté
Cave d’affinage du fort St-Antoine

Une incroyable richesse aromatique

Des études scientifiques ont montré qu’il y avait une bonne corrélation entre les goûts des comtés et les lieux de production, caractérisés par leur sol et leur flore propre, d’où cette notion de cru. Une étude floristique a permis de dénombrer 576 espèces de plantes sur le terroir de 60 fruitières étudiées, avec une moyenne de 130 variétés par fruitière. Par conséquent, en fonction des saisons et du terroir, le lait et donc le comté, pourra prendre des saveurs très variées, avec des nuances lactées, beurrées, fruitées, épicées, végétales, torréfiées… et même animales ! Bien entendu, le lait d’hiver, produit alors que les vaches se nourrissent de fourrage, donnera un fromage moins « gouteux » que celui issu de vaches broutant l’herbe florale à la belle saison. Lors de l’achat, que ce soit en crèmerie ou en libre service, il suffit donc de faire un petit calcul : en retranchant le nombre de mois d’affinage, on peut choisir le comté qui aura été produit de juin à septembre, car c’est là qu’il aura théoriquement le plus de goût !

Comté extra à bande verte « clochette »

Le cahier des charges de l’AOP

L’aire de l’appellation d’origine protégée s’étend dans une région de moyenne montagne, sur une partie du Jura, du Doubs et de l’Ain. Les vaches de races Montbéliarde (95 %) et Simmental française (5 %) sont les seules autorisées pour la production du lait à comté, et chaque vache doit bénéficier d’1 hectare de prairie au minimum. L’alimentation du bétail est garantie sans OGM. La traite doit être faite 2 fois par jour, robot de traite interdit. La fabrication doit se faire dans une cuve en cuivre limitée à une capacité de production de 12 fromages.  

Vaches Montbéliardes

Les chiffres du comté

  • 2 500 exploitations agricoles, 150 fruitières et 13 affineurs
  • 65 000 tonnes par an
  • 1 600 000 meules de comté par an
  • 400 litres de lait sont nécessaires pour fabriquer une meule de 40 kg
  • 34,6 % de matière grasse
  • 0,8 g de sel (pour 100 g) : le comté fait partie des fromages les moins salés (*).

(*) : Attention, les petits cristaux blancs que l’on voit dans la pâte de certains vieux comté ne sont pas du sel ! C’est un acide aminé, la tyrosine, qui se forme au cours de l’affinage prolongé et cristallise jusqu’à former des petits grains blanchâtres qui crissent sous la dent…

Vieux comté

Dégustation

Il arrive souvent que deux produits d’un même terroir (souvent un vin et un fromage) s’accordent parfaitement. C’est le cas du comté qui s’accorde à la perfection avec les vins blancs du Jura, et en particulier le vin jaune issu du cépage Savagnin, qui met en relief des arômes de fruits secs et d’épices. La palette aromatique du comté est par ailleurs tellement large qu’il peut s’harmoniser avec d’autres types de vin, comme un vin d’Alsace (Gewurztraminer ou Riesling), un Châteauneuf-du-Pape, un Bourgogne, un Porto, voire certaines bières ou whiskies… Le comté se déguste idéalement à une température comprise entre 15°C et 18°C. Pour cela, sortez-le du réfrigérateur avant le repas.

En savoir plus : www.comte.com

Tranches de comté