Le pineau des Charentes

Le pineau des Charentes est un vin de liqueur issu du mariage d’un moût de raisin et d’un cognac jeune. Déclinée en blanc, rosé, vieux ou très vieux, l’appellation est protégée par une AOC depuis 1945 ! Voici tout ce qu’il faut savoir sur le pineau et ses secrets de fabrication, directement depuis les caves de producteurs réputés…

Concernant l’origine du pineau, une légende raconte qu’il serait né du fruit du hasard. Au XVIème s., un vigneron (certains prétendent qu’il s’appelait Pineau…) aurait versé du moût de raisin dans une barrique contenant de l’eau-de-vie de Cognac, faute de place. Après quelques années, il ouvrit la barrique, pensant trouver du vinaigre, et découvrit un vin fort agréable. Le Pineau des Charentes était né !

Cela fait sourire Line Sauvant, qui élève du pineau, jeune et vieux, à Segonzac (Charente). Dans sa cave aux effluves enivrantes d’alcool fruité et boisé, s’alignent des barriques en chêne où elle fait régulièrement des prélèvements. Devant le vieil alambic en cuivre, qui servait à son père pour distiller du cognac, Line explique les différentes étapes de production du pineau tout en inspectant la couleur du pineau dans son verre et en humant son parfum :  » Après la vendange, les moûts de raisins sont pressurés sitôt la récolte terminée pour les blancs, et après une phase de macération et de foulage pour les rosés, afin qu’ils obtiennent leur couleur. Avant la fermentation, on réalise le mutage, c’est-à-dire l’ajout d’environ 1/4 en proportion d’eau-de-vie de Cognac titrant au moins à 60° et âgée au moins d’un an. Puis, on élève les vins dans des fûts de chêne, 12 mois minimum pour les blancs, et 8 mois minimum pour les rouges et rosés. »

Pineau chez Guillon-Paintureau, à Segonzac
Soutirage de pineau chez Guillon-Paintureau
Line Sauvant présente l’un de ses pineaux devant le vieil alambic à cognac
Line Sauvant
Atelier artisanal de vinification et d’élaboration du pineau, chez Guillon-Paintureau

Mistelle et boule de rhum

Le pineau rentre dans la famille des mistelles, c’est-à-dire des alcools mélangés. Ce mot vient de l’italien misto (mixte, ou mélangé). Dans cette catégorie, il y a aussi le floc de Gascogne (à base d’armagnac), le pommeau de Normandie (à base de calvados), le ratafia en Champagne et en Bourgogne, le macvin dans le Jura, etc… On trouve donc des mistelles un peu partout en France, mais aussi au Québec, et même à Madagascar, où le piloboka est fait avec du rhum !

« Il faut savoir que les mistelles ne sont pas des vins doux naturels, où l’alcool est rajouté dans un moût déjà largement fermenté… », précise Pascal Favre, producteur de pineau sur l’île d’Oléron. Dans cette île très touristique, Pascal passe beaucoup de temps à expliquer la vinification et l’élaboration de ses pineaux dans sa boutique. « Les gens ne savent généralement pas qu’il y a du cognac dans le pineau, ils pensent que c’est un vin cuit… Ils me posent aussi beaucoup de questions sur ma certification en agriculture biologique, et sur la présence ou non d’un caractère iodé du pineau, du fait des embruns marins. Certains le décèlent lors de la dégustation, d’autres pas… Au cours de la visite, je glisse aux seniors que le pineau était l’apéritif préféré de De Gaulle, et aux jeunes, je dis qu’ils peuvent très bien le boire avec du Schweppes ou du Coca, même si ça me fait un peu mal d’imaginer mon vin patiemment élaboré mélangé avec ces boissons industrielles… Mais il faut rajeunir l’image un peu vieillissante du pineau, il est loin le temps où on le buvait étendu avec un peu d’eau et des glaçons, on appelait ça la fine à l’eau ! »

M. Favre soutire un peu de pineau et le déguste dans son chai
Pascal Favre fait une dégustation à St-Pierre d’Oléron
Pascal Favre dans ses vignes à Oléron

Des pineau rouge et blanc au pied des étangs bleus

Ne parlez pas à Christian Thomas de ces mélanges sacrilèges… Le propriétaire du prestigieux Château Beaulon, à Saint-Dizant-du-Gua (Charente-Maritime), est un puriste du pineau, et il en produit depuis 1965 dans les caves de son très beau château situé à une encablure de l’estuaire de la Gironde. « Je suis l’un des derniers dinosaures du pineau ! » lance-t-il fièrement dans son très vieux chai aux parois noircies par le champignon Torula, qui se forme grâce à l’évaporation des alcools que l’on appelle la « part des anges« . Dans cette atmosphère sombre et fraîche, il élève ses vins et son cognac dans de petites barriques en chêne, et si l’on se réfère aux puissants arômes qui flottent dans la cave, les anges tapis dans les coins doivent être amplement satisfaits (et probablement pompettes…) de la part d’ester qui leur revient… « Nous apportons un soin particulier au vieillissement de nos pineaux. Il faut savoir qu’à partir de 5 ans, un pineau a le droit de s’appeler un Pineau Vieux, et le Très Vieux Pineau doit passer au moins 10 ans en fût de chêne… Mais chez nous, on les fait vieillir beaucoup plus longtemps que la loi l’exige ! Avec le temps, l’eau-de-vie s’estompe et laisse place aux subtiles saveurs fruitées, pêche ou coing pour les blancs, et fruits rouges pour les rosés et les rouges… » Christian Thomas a un autre atout pour attirer les amateurs de pineau ou de cognac sur ses terres : on vient aussi voir les « étangs bleus« , cachés dans son superbe jardin de 13 hectares (qui se visite), classé « Jardin remarquable ». Ces petites mares abritées dans un bosquet luisent en effet d’un irréel éclat bleuté, dû à une algue microscopique d’origine volcanique. En plus de son pineau haut de gamme, cet endroit magique justifie à lui seul la visite !

Pineau des Charentes du Château de Beaulon, à St-Dizan du Gua (Charente-Maritime)
Christian Thomas, dans son plus vieux chai à cognac

Bonnes adresses

Si vous êtes décidés à partir en pleines terres charentaises (et non en charentaises pleines de terre…) pour une balade touristico-oenologique, voici quelques bonnes adresses de producteurs de pineau :

– SCEV Guillon-Painturaud, à Biard, Segonzac. https://www.cognac-guillon-painturaud.fr/

– SCEA Favre & Fils, à La Fromagerie, Saint-Pierre-d’Oléron.

– Château Beaulon, 25 rue Saint-Vincent, Saint-Dizan-du-Gua. https://chateau-de-beaulon.fr/pineau-2/

La gamme de prix varie de 10 € (départ cave) pour les pineaux les plus jeunes, à 20 € pour les Vieux, et 30 € ou plus pour les Très Vieux pineaux.

Se renseigner

CDT Charentes : https://www.tourisme-territoires.net/adt-cdt/annuaire/agence-de-developpement-et-de-reservation-touristiques-de-la-charente-15/

Comité national du Pineau des Charentes : https://www.pineau.fr/fr/verification-age

A boire avec…

Le chef Thierry Verrat, du restaurant la Ribaudière à Bourg-Charente, aime proposer plusieurs pineaux à ses clients, il en a une vingtaine à sa carte. Il les conseille à l’apéritif, avec un amuse-gueule, et les concède aux clients qui veulent le boire avec du melon, même pour si certains puristes, c’est une hérésie. Pour lui, certains pineaux accompagnent à merveille le foie gras, et les fromages à pâte persillée tels que les bleus ou le roquefort. Evidemment, le pineau est parfait en dessert, surtout avec des cerises ou un tiramisu… 

Thierry Verrat