Le pâté de Chartres

Ce pâté en croûte est né du mariage improbable entre le monde de la pâtisserie et celui de la chasse. Constitué à l’origine avec de la viande de gibier, ce pâté de luxe est enrobé d’une coque de pâte brisée et contient du foie gras.

Un pâté pour Henri IV ?

Selon la légende, les premiers pâtés de Chartres ont été réalisés à la fin du XVIème s., à l’occasion du sacre d’Henri IV. Mythe ou réalité ? Quoiqu’il en soit, la première mention de cette préparation charcutière de la bonne ville de Chartres remonte au XVIIème s., dans les vers d’un poète épicurien, amateur de bonne chère. Mais c’est au XIXème siècle que le pâté de Chartres obtient ses lettres de noblesse, notamment grâce à certains grands noms de l’époque qui en ont fait mention dans leurs œuvres, tel Alexandre Dumas dans son Dictionnaire de la cuisine, Victor Hugo ou encore Anatole France. Il obtient également une reconnaissance nationale en 1885 lorsque le pâtissier Voisin reçoit, lors d’un concours culinaire à Paris, une médaille d’or pour l’excellence de ses pâtés de Chartres. C’est lui qui en fige la recette, qui est d’ailleurs celle que prône la confrérie de « l’authentique Pâté de Chartres » fondée en 2005, afin de promouvoir cette spécialité culinaire incontournable d’Eure-et-Loir. Depuis 2011, le pâté de Chartres est même inscrit à l’inventaire du patrimoine culinaire, reconnu patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO.  

Un pâté royal au goût de terroir

« Ce n’est pas exactement la même recette ! » précise Patrice Millet, membre de la confrérie et artisan-charcutier, l’un des 4 ou 5 derniers à confectionner toute l’année cette longue préparation charcutière. « Car à l’origine, les charcutiers chartrains ne faisaient ce pâté qu’en période de chasse, avec du pluvier guignard, un oiseau migrateur qui abondait en Beauce, ou avec de l’alouette. Le premier est devenu une espèce protégée, l’autre est rarement chassée, c’est pourquoi on utilise de nos jours plutôt du faisan, du perdreau, de la perdrix ou plus souvent du canard. Mais toujours avec du foie gras ! » insiste Patrice. En effet, c’est l’ajout de foie gras frais, au cœur du pâté, qui lui confère son prestige et son côté « royal ».  Ce jour-là, Patrice a réussi à avoir un faisan, mais s’il n’en a pas, il utilise la viande d’un canard de Barbarie. « C’est une préparation assez longue« , prévient-il, « qui se déroule sur quatre jours ! D’abord on mélange toutes les viandes et on laisse mariner deux jours avec des épices et des condiments. Le 2ème jour on prépare la pâte brisée qui doit rester au frais une nuit, et le lendemain on garnit le moule de pâte, et on ajoute la farce. Après cuisson, le pâté doit attendre encore un jour avant d’être consommé. » Patrice garde jalousement secret le détail de sa recette, tout au plus lâchera-t-il qu’il aromatise le pâté avec une pointe de coriandre et du cognac…

Jacky Charreau, un autre charcutier réputé pour son pâté de Chartres, est plus disert quant à sa fabrication. Dans son atelier de Le Coudray, situé au sud de Chartres, il n’hésite pas à me montrer le déroulé de sa recette : « D’abord j’émince au couteau de la gorge de porc, du filet mignon de veau, du magret de canard, et du foie gras frais en plus gros morceaux. Je mélange les viandes, en gardant le foie gras de côté, avec une compotée d’oignons, du sel, du poivre, un peu de madère et de porto, du laurier et des épices. » Quelles épices ? « Ah non, ça, je le garde pour moi ! » sourit l’artisan, qui précise : « De toutes façons, c’est au goût de chacun, si vous aimez telle ou telle épice, vous l’ajoutez ! » En effet, certains charcutiers ajoutent du cumin, des pistaches, d’autres de la truffe… Après avoir laissé mariner sa farce, Jacky beurre ses moules et les tapisse de pâte. « Il faut garnir la moitié du moule, mettre un médaillon de foie gras, puis recouvrir du reste de viande et d’un peu de bouillon fait à base d’os et de carottes, qui se transformera en gelée. Il ne reste plus qu’à fermer avec un chapeau de pâte crénelé comme une couronne, dorer au jaune d’œuf, et percer un trou pour laisser la vapeur s’échapper pendant la cuisson. Après 1 h à 160 °C et 45 minutes à 120 °C, c’est cuit ! »

Jacky Charreau

Une explosion de saveurs

Jacky ne propose pas toujours son pâté de Chartres dans ces petits moules cylindriques traditionnels de 15 cm de haut. Il prépare aussi une version allongée en terrine, plus pratique pour la vente en charcuterie au détail. Si vous voulez déguster un authentique pâté de Chartres servi à l’assiette, rendez-vous au Grand Monarque, une institution étoilée à Chartres. Ici, le chef Benoît Cellot concocte pour la brasserie « La Cour » un pâté de Chartres à l’ancienne, servi au guéridon avec tout son cérémonial. « Certains ajoutent du fumet de gibier dans leur pâté, ici, on n’utilise que du canard sauvage, c’est ce qui donne au pâté son goût de terroir. La compotée d’oignons et d’échalotes apporte de la rondeur à la farce.  Nous le servons avec des cerises noires ou au vinaigre, c’est sublime ! » A l’ouverture du pâté, une explosion de parfums appétissants font saliver, des saveurs carnées et pâtissières qui font se retourner les voisins de table…  Effectivement, c’est délicieux, le foie gras apporte du fondant et avec les cerises noires, la croûte donne l’impression d’être déjà au dessert ! Pour accompagner ce pâté en croûte (14 € à la carte), les amateurs de vin rouge se laisseront tenter par un Saumur-Champigny ou un Chinon, et en vin blanc, un Vouvray fera l’affaire.

La recette

(donnée par  Benoît Cellot, chef au Grand Monarque)

Pour la chair à pâtée

1 kg de canard (si possible sauvage)

250 g de veau

750 g de gorge de porc

100 g de foie gras

5 cl de cognac et 5 cl de porto

1 œuf

1 oignon et 1 échalote

Sel, poivre, thym et laurier

Pour la pâte

2 œufs

500 g de farine

180 g de beurre

125 g d’eau

+ un sachet de gelée, et un pot de cerises au vinaigre

Déroulé

– le 1er jour, découper les viandes en gros morceaux et faire mariner une nuit dans le cognac, le porto, le thym et le laurier.

– le 2ème jour, faire confire l’oignon et l’échalote, et ajouter à la viande qu’il faut découper en petits dés. Saler, poivrer, éventuellement ajouter une autre épice, et lier avec un œuf. Réserver 2 jours au frigo.

– le 3ème jour, préparer la pâte en mélangeant la farine, l’eau et les œufs. Ajouter le beurre bouillant en dernier. Faire une boule et réserver au frais.

– le 4ème jour, mettre la pâte à température ambiante. Beurrer un moule (moule à terrine si vous n’avez pas de moule à pâté de Chartres !). Abaisser la pâte et en garnir le moule, en gardant de la pâte pour le couvercle. Remplir à mi-hauteur de farce, déposer une couche de foie gras et recouvrir du reste de viande jusqu’en haut du moule. Mettre de la gelée maison si vous en avez. Sinon, Couvrir avec de la pâte, en pinçant les bords pour les souder. Décorer avec les chutes de pâte. Dorer au jaune d’œuf battu à l’aide d’un pinceau. Faire un trou au centre pour faire office de cheminée. Réfrigérer 1 h, puis enfourner pour une heure et demie à deux heures, à 150 °C. Une fois le pâté cuit et froid, préparer votre gelée en sachet, et l’introduire avec un entonnoir par le trou de cheminée. Mettre 12 h au frais, et déguster avec des cerises au vinaigre.

Bonnes adresses

Le pâté de Chartres est vendu entre 30 et 40 €/kg, selon les charcutiers.

La Grange du Coudray (chez Jacky Charreau), 124 rue de Voves à Le Coudray. (36 €/kg ) www.lagrangeducoudray.fr

Aux Délices de Saint-Antoine (chez Patrice Millet), 58 rue Pannard à Courville-sur-Eure. (34 €/kg)  www.charcuterie-traiteur-28.fr

Le Grand Monarque, 22 place des Epars, Chartres    www.bw-grand-monarque.com

Patrice Millet
Jacky Charreau
Benoît Cellot, chef au Grand Monarque