La saucisse de Strasbourg

Galvaudée par l’industrie charcutière, la véritable knack se révèle être une saucisse croquante et craquante, quand elle est produite par des artisans charcutiers. Allons à leur rencontre en Alsace !

La knack d'Alsace
ALSACE Au centre de Strasbourg, la Petite France

D’abord une précision sémantique : la saucisse de Strasbourg doit son surnom au verbe allemand knacken, qui décrit le bruit que fait la saucisse quand sa peau éclate sous la dent. C’est une saucisse longue et fine, légèrement fumée, à la saveur délicate, qui se prépare en Alsace depuis au moins le XVIème siècle. En 1744, on offrit de grandes quantités de knacks à la population alsacienne pour célébrer la guérison de Louis XV ! Depuis cette époque, cette saucisse est présente dans tous les repas de fête, et c’est même devenu l’un des ingrédients incontournables de la garniture de la choucroute…

La knack d'Alsace
ALSACE Une bonne knack doit « knacker » quand on la casse

 

Les fausses knacks qui font flop 

Mais attention, la véritable knack n’a rien à voir avec les saucisses industrielles sous blister plastique des supermarchés, qui font aussi envie qu’une demie-molle dans un préservatif usagé… Même leur couleur rouge est artificielle, les knacks de charcutiers sont de couleur plus pâle, tirant sur l’orange (car contenant moins de nitrites !). Pour prendre une comparaison moins triviale, c’est la même différence qu’il y a entre un yaourt au goût chimique de fraise, et un yaourt maison nature dans lequel on découpe de petits bouts de fraises… Bref, écoutons Jacqueline Riedinger, présidente du syndicat des bouchers-charcutiers du Bas-Rhin, qui tient une charcuterie réputée à Vendenheim :  » Parmi la trentaine de types de saucisses régalant les Alsaciens, la knack tient une place à part dans notre gastronomie. On la déguste nature avec un bout de pain, trempée dans la moutarde, coupée en morceaux dans une salade, passée au four enrobée de pâte feuilletée, et bien sûr dans la choucroute. Chaque charcutier a sa recette, chez certains elle sera plus épicée que d’autres, mais tous les artisans respectent le cahier des charges de l’IGP, obtenu en 2014, garantissant sa qualité de fabrication. »

La knack d'Alsace
ALSACE Jacquelin Riesinger, charcutière à Vendenheim, entouré de son frère Samuel (gauche) et de son oncle Jacques Riesinger (droite)

 

De la glace dans les knacks

Michel Burg, charcutier à Marlenheim, a obtenu la « knack d’or » en 2014. Il a bien voulu m’ouvrir les portes de son atelier, et me montrer les différentes phases de fabrication de la saucisse de Strasbourg. La matière première, c’est environ 80 % de viande de porc (jarret et épaule pour le maigre, gorge pour le gras), et 20 % de viande de bœuf (collet et jarret). Ce mélange de viande est haché au cutter (machine équipée de gros couteaux rotatifs) jusqu’à obtenir une pâte assez fine, à laquelle le charcutier ajoute un assaisonnement maison, qui peut être composé d’un mélange de sel, poivre, coriandre, muscade, paprika, ail, sucre, etc… A ce moment, ma surprise fut grande de voir Michel verser de la glace pilée dans la cuve ! L’artisan s’explique : « C’est la maîtrise de cette émulsion de viande qui va déterminer la qualité finale de la saucisse. C’est pourquoi je fais descendre la température de la pâte sous les 11 °C, ce qui permet aux protéines de ne pas floculer. Gras et maigre restent soudés, formant une sorte de mousse bien homogène. » Dès que la texture voulue est obtenue, la pâte est embossée dans des boyaux naturels de mouton. C’est une autre différence avec les saucisses industrielles, qui sont généralement entourées d’un film de cellulose, qui ne permet pas du tout aux saucisses de faire « knack » lorsqu’on les casse en deux… Les saucisses sont alors légèrement fumées au bois de hêtre (une dizaine de minutes), puis cuites à l’étuvée environ 3/4 h. Autre étape étonnante et fondamentale : au sortir du four, les knacks sont douchées à l’eau froide, afin d’assurer leur fermeté et leur bonne conservation !

 

Un palace pour cochons

Les bons charcutiers s’approvisionnent chez des éleveurs locaux dont ils connaissent le mode d’élevage, car même si certains tentent de « tricher » avec des épices et des aromates, la saucisse conserve le goût de la viande. Le charcutier le plus exigeant est sans doute Thierry Schweitzer, qui dirige avec son frère Clément un élevage porcin, situé à Barr. Ce paysan charcutier, comme il s’appelle lui-même, a conçu son élevage dans le respect du bien-être animal. En effet, ses bâtiments d’élevage sont ouverts sur l’extérieur, ce qui fait que les animaux voient la lumière du jour, sentent la caresse du soleil, hument les odeurs des champs voisins, bref, ils ne sont pas enfermés dans une prison nauséabonde éclairée au néon… On se demande même où sont les cochons, car on ne les voit pas tout de suite. C’est normal, ils sont vautrés sous une épaisse couche de paille ! Leur enclos est donc un palace porcin 5*, où les animaux ne sont pas serrés, sont libres de leurs mouvements, mangent bien (sans OGM, ni antibiotiques, ni farines ou graisses animales), et dorment sur une literie de paille très confortable. Il ne manque plus que la masseuse ! La fin de leur séjour est moins agréable, mais au final, leur viande est transformée en charcuteries d’excellente qualité (avec une gamme Bio), dont des knacks haut de gamme, qui sont évidemment un peu plus chères que les autres…

Astuce cuisson : la knack se cuit 10 minutes dans une eau frémissante salée. Si vous ne salez pas, la knack rejettera son sel dans l’eau, et paraîtra fade !

Le saviez-vous ? Quelle est la différence entre la saucisse de Strasbourg et la saucisse de Francfort ? La Francfort est moins croquante, elle a une couleur un peu plus jaune, et elle est faite exclusivement avec de la viande de porc. A part cela, elles sont très proches…

 

Où trouver de bonnes knacks ?

Chez les nombreux artisans-charcutiers d’Alsace et d’ailleurs, qui garantissent le fait maison. Par exemple :

– Michel Burg, 63 rue du Général de Gaulle, 67520 Marlenheim

– Baur Fisher, 55 rue du Maréchal Foch, 67113 Blaesheim

– Riedinger, 5 av. du Général Leclerc, 67550 Vendenheim

– Christophe Fricker, 36 rue de la Mairie, 67117 Furdenheim

– Thierry Schweitzer, allée de l’Europe, 67140 Barr.

Si vous ne pouvez pas vous rendre en Alsace, quelques marques industrielles fabriquent des saucisses de Strasbourg correctes : Pierre Schmidt, Stoeffler, et Adam.